Rêverie d’un promeneur sur la St-Laurent
Une fois est rarement coutume, je ne viendrai pas dans cette chronique vous parler d’histoire ou de réflexions socio-politico-économique sur la société québécoise ou sur ce griiin pays qu’est le Canada. On va y aller pour une petite tranche de vie, un art que je maîtrise beaucoup moins que d’autres chroniqueurs dans la gang.
Régulièrement, pour raisons professionnelles ou amicales, je me rends à Montréal. Vous savez, cette grande ville « dans la banlieue de Sherbrooke » comme se plaisait à dire ironiquement un de mes profs à l’Université. Et lorsque l’occasion se prête, il est pour moi un rendez-vous incontournable, devenu quasiment un rituel, qui est d’aller faire un tour sur la St-Laurent. Pourquoi ? Parce que pour moi, c’est un peu le grenier de Montréal : j’y trouve des petits commerces d’alimentation qui font mon bonheur, ravissent mon palais par des denrées que je ne trouve pas à Sherbrooke (vous savez, la ville dont Montréal fait partie de la banlieue hi hi).
Un premier incontournable, c’est la boucherie « Charcuterie Hongroise » où on trouve du saucisson mais aussi de délicieux petits sandwichs préparés devant vous composés de moutarde forte, de choucroute et de saucisse piquante. En venant de la rue Sherbrooke (donc, en remontant la St-Laurent), elle se trouve un peu plus bas que l’énorme Pharmaprix tout neuf et tout aseptisé, construit il y a quelques années seulement et qui jure tellement dans le décor à mon avis. Comme si un Wal-Mart s’était installé en plein milieu des petites ruelles pavées du Vieux-Port de Montréal. Moi qui aie surtout connu une gastronomie épicée par mes parents, cela fait mon bonheur (les sandwichs, pas le Pharmaprix). Je sais qu’un peu plus haut de cette pharmacie se trouve le petit restaurant « Chez Schwartz », véritable institution de la ville depuis des années et que tout montréalais, de souche ou d’adoption, se doit de connaître. Vous verrez, vous ne pouvez pas le manquer : il y a toujours une file d’attente devant l’entrée qu’il pleuve, vente ou neige. Apparemment, il doit son succès à ses sandwichs de viande fumée : j’en ai déjà mangé, c’est vrai qu’ils sont bons mais bon, j’en raffole pas (tant mieux, pas de line up à faire !). Mais j’aime bien passer devant car c’est amusant de voir la diversité de la clientèle : du golden boy bien apprêté dans son costume et cellulaire greffé à l’oreille au gars limite clochard en train de recompter ses pièces pour voir s’il a vraiment assez pour se payer un sandwich. La bouffe, voilà une bonne piste de réflexion pour unifier tous les peuples de ce monde (mais nous, nous serons morts mon frère ….).
Presqu’en face de la boucherie hongroise, il y avait une petite boulangerie qui faisait des pains et des pâtisseries extraordinaires. À l’époque, (car elle n’existe plus maintenant malheureusement), on était reçus par une petite armée d’ouvrières en blouse blanche prêtes à vous découper en un tour de main un pain de seigle dans une odeur qui sentait merveilleusement le bon pain chaud. Le décor laissait à désirer, les étagères avait besoin d’un bon dépoussiérage mais ce n’était pas grave : les papilles gustatives frémissaient déjà d’excitation et faisait oublier tout le reste ! Un peu plus haut du Schwartz, à l’angle de la St-Laurent avec une rue sur la droite, se trouve une petite rôtisserie dont je ne me rappelle jamais le nom (de toute façon, suffit de suivre l’odeur ….). Leur spécialité, ce sont les poulets rôtis mais j’y vais surtout pour leurs pommes de terre qui sont délicieuses : nappées dans une sauce un peu huileuse, ça fond dans la bouche …. On peut prendre une commande à emporter ou manger sur place en s’asseyant sur un des tabourets disposés devant une table aussi longue qu’étroite en n’ayant pour voisin devant soi …. que soi-même car on est dret en face du mur où a été installé un miroir ! (c’est pratique parce que quand on a un morceau de viande coincé entre les dents, on le voit tout de suite : ça permet une gestion immédiate de la situation).
J’aime cette ambiance de petits commerces et de restaurants où le fumet de la nourriture vous enveloppe doucement, les petites tables où on est tous serrés à la va-comme-je-te-pousse, toutes ces langues autres que le français et l’anglais qui virevoltent autour de vous pendant que vous attendez religieusement votre commande. On est loin de ces chaînes de restaurant (Normandin, St-Hubert et compagnie) où on y a tous fait un tour pour y manger un club sandwich-frites-mayonnaise-ou-ketchup ou une poitrine de poulet-salade-césar (pas de cretons ni de fromage râpé sur ma salade, merci madame la serveuse). C’est un peu le principe Mac Donald’s : à Montréal, Québec ou Drummondville, on retrouve la même formule standardisée. Avec la ou le serveur(se) qui vient invariablement vous voir exactement au moment où vous avez la bouche pleine de frites pour demander « tout est à votre goût ici ?? ». On marmonne alors quelque chose d’incompréhensible en hochant de la tête qu’il ou elle interprète facilement comme étant un oui (inquiète-toi pas, tu vas l’avoir ton tip). J’ai rien du tout contre ce type de restaurant : j’y vais même régulièrement durant l’année (surtout pour les desserts !). C’est différent, c’est tout. Cependant, il ne s’y retrouve pas d’ambiance particulière, moins exotique en quelque sorte.
Comme ce magasin d’alimentation un peu plus haut sur la St-Laurent où, tout au fond, on trouve des sacs de riz de huit kilos et du poisson fumé posé à même sur des cageots. Tout traîne un peu partout, ne cherchez pas à déterminer l’origine précise de quelques odeurs si vous ne voulez pas avoir une petite frayeur, mais quel délice de croiser ce couple d’asiatiques en train d’examiner scientifiquement un morceau de gingembre ou cette vieille haïtienne avec son chariot, suivie docilement par son armée de petits enfants comme une petite ligne de canetons derrière maman canard. Pour moi, c’est à chaque fois un voyage des sens, un plaisir renouvelé de croiser ces personnes, de laisser mon oreille gambader allègrement dans toutes ces intonations venues d’ailleurs.
L’autre rendez-vous, c’est plus haut sur St-Laurent dans la Petite Italie, les magasins « Chez Anatole » et « Milano ». Anatole, c’est aussi une institution apparemment : j’y rentre comme lorsque je rentre dans un lieu sacré car c’est le royaume des épices. Poivre, sel, curry, paprika en veux-tu en voilà mais aussi du nougat, des mélanges de cacahouètes, de raisins secs, etc. Encore une fois, on est encore loin ici de l’efficacité nord-américaine : pas d’allées spacieuses, pas d’étiquettes imprimées sur ordinateur, pas de petite musique d’ambiance, une lumière blafarde et des étagères bourrées de produits qui arrivent à tenir ensemble par je ne sais quel miracle. Mais cette promiscuité avec les autres clients amène, parfois, à discuter avec l’une ou l’autre et c’est ça qui est trippant : t’en penses quoi de ce gros poivre noir ? Scusez, c’est-tu du cumin que vous avez là ? Il est dans quelle rangée ?
En sortant, fort probable que vous croiserez un jeune italien gominé, aux lunettes fumées et gourmette rutilante au poignet sortant de sa BMW. Ou un homme plus âgé, béret vissé sur la tête à discuter passionnément de soccer avec une autre personne. À la limite, j’y croiserai un jour Marlon Brando ou les Affranchis (De Niro, Pesci et Liotta) que cela ne me surprendrait pas. Le magasin Milano est plus grand mais avec tout autant une débauche de couleurs, d’odeurs, de voix où chaque centimètre carré regorge de produits. Chaque fois que j’y vais, je ne sais pas où donner de la tête.
Mais après tout cela, comment cela se fait-il que je ne vive pas à Montréal ? En effet, beaucoup d’amis dans mon entourage s’interrogent sur mon choix de vivre « en région » alors que culturellement et gastronomiquement, il semble que je serai plus à mon aise à Montréal. Surtout que mon « profil » (jeune trentenaire, curieux, en plein dans sa carrière, sans enfants) semble bien coller à la vie montréalaise. Ils n’ont pas tort, loin de là. La réponse est psychologique : j’ai le choix. Vendredi dernier, j’étais dans un bar sur la St-Laurent (après St-Viateur) qui s’appelle le « Whisky Café ». Très belle décoration, beau mobilier, ambiance décontractée tout en ayant un certain standing. J’y étais avec un ami pour y rejoindre quelques-uns de ses amis que je ne connaissais pas. C’était le fun ! Sauf que moi, je n’ai pas grandi dans cela : aux bars où on s’entasse presque par manque de place (comme c’est le cas à Montréal, Paris ou Toulouse par exemple), j’ai connu les bars ouverts, quasiment les pieds dans le sable et ça, c’est quand on était tannés de faire du camping ou de partir sur un îlot. Autrement dit, je n’ai pas grandi dans cette culture urbaine faite de petits trésors de cafés, de bars underground ou d’après-midi passés dans un parc en plein milieu de la ville. Dans ma première vie, j’avais aussi des discussions avec mes amis, mais c’était plus souvent qu’autrement autour d’un feu de camp ou sur le bord d’une plage. Ça, c’était nos cafés à nous.
Et si je ne m’habitue pas à ce style de vie plus urbanisé, c’est parce que j’ai toujours eu le choix jusqu’à maintenant: quand j’étais fatigué ou tanné, je ramassais mon manteau, montait dans mon auto et repartait sur Sherbrooke, plus petit, plus près de la nature. Bref, plus près de ce que j’ai connu. Lorsqu’on a le choix, il est alors plus naturellement facile de ne pas se forcer à adopter un style de vie qui nous correspond plus ou moins, n’est-ce pas. Par une hypothétique situation, mettez-moi dans Montréal parce que je n’aurai pas le choix d’y vivre, je vais finir par l’aimer et même l’adorer cette ville (surtout qu’en partant, je suis loin de la détester !). Et pour rester impartial : à l’inverse, forcez-moi à n’avoir que Sherbrooke comme ville où rester sans d’autre choix, je finirai par y perdre la tête par contre (c’est d’ailleurs pour fuir, notamment, une certain manque de diversité global inhérent à toute insularité que j’ai fini par quitter mon île). Pourquoi finirai-je par aimer Montréal et détester Sherbrooke si je n’avais pas le choix ? Parce que dans la première ville, des manques pourraient à la longue, être compensés par d’autres choses alors que cela m’apparaît plus difficile dans la seconde ville.
Mais j’ai le choix. Et personnellement, j’ai le meilleur des deux mondes : le calme et la nature estrienne et la vie trépidante montréalaise à moins d’une heure et demie en voiture. Autoroute 10, plein ouest jusqu’à ce qu’un pont Champlain se dresse à l’horizon.
Je me rappelle une soirée passée avec deux amis à traverser toute la rue Mont-Royal un soir d’été il y a deux ans. Cela restera un de mes plus beaux souvenirs d’immigrant au Québec. Parce que j’étais en très bonne compagnie, parce que la soirée était douce (ni trop chaude, ni trop fraîche) et parce que cette promenade avait été un voyage des sens où je ne savais plus où donner de la tête : il faudrait qu’on aille manger dans ce petit restau un de ces quatre …. Tu vois, ici, ils font de délicieux burritos …. À ce qu’il paraît, la musique est pas pire dans ce petit bar …. Etc, etc.
Évidemment, lorsqu’on peut choisir, c’est souvent parce qu’on a les moyens de ses choix. Sinon, c’est une obligation (tsé veut dire). Et, dans mon cas, j’ai l’immense privilège d’avoir une situation professionnelle qui me permet de vivre en région. Je sais que c’est là une opportunité qui n’est pas offerte à tout immigrant, en particulier pour les familles qui recherchent souvent un cadre de vie moins urbanisé pour leurs enfants (et encore, Montréal est loin d’être les monstres bétonnés que sont Paris ou New York par exemple). Cela ne fait donc pas de moi un « régionaliste » pur et dur qui ne veut rien savoir de Montréal : je n’ai pas quitté une île où j’étouffais pour aller m’enfermer de nouveau ailleurs. Est-ce à dire que vivre en région signifie s’enfermer ? Nan, bien sûr. Dans mon cas, ce n’est pas de l’enfermement car j’ai toujours la possibilité d’aller à Montréal ou encore Boston à quatre heures d’auto. Mais vivre dans une île où la seule solution pour trouver plus de diversité exige que tu prennes obligatoirement l’avion, c’est vraiment autre chose.
C’est pour cela que je n’accroche pas au débat opposant pro-villes et pro-régions parce que les arguments sont aussi convaincants de part et d’autre à mes yeux : oui, les maudits ponts à traverser pour aller à Montréal mais oui également à une certain déficit culturel en région. Oui également à un bassin d’emplois incontestablement plus important et diversifié en ville mais oui également à la forêt et à la neige bien blanche en région. Je suis probablement certain que les pro-villes aimeraient avoir plus de nature en ville mais cela exigerait de faire l’impasse sur plusieurs infrastructures. Comme les pro-régions aimeraient peut-être avoir plus d’animation culturelle dans leur coin mais cela demanderait de faire venir une masse critique de population suffisante pour justifier ladite animation (avec les conséquences que cela implique). Personnellement, je dois faire le deuil d’avoir un Festival de Jazz équivalent à celui de Montréal à Sherbrooke comme oublier d’avoir ici une Bibliothèque Nationale du Québec comme celle au Boulevard Maisonneuve Est. L’important à mes yeux est que les coûts engagés (les ponts à traverser, le béton, la pollution ou le déficit culturel et le manque d’emploi) soient compensés par des bénéfices (emploi, vie sociale, qualité de vie). Et comme par nature – sauf en économie bien entendu – coûts et bénéfices étant relatifs à chacun et chacune ….
Alors j’ai fait mon choix et je l’assume. Comme rouler en plein hiver sur la 10 pour aller voir le spectacle d’un artiste au Centre Bell par exemple (et je ne vous parle pas du stationnement une fois arrivé !). Mais à quelque part, c’est mieux ainsi. Si je vivais en permanence à Montréal, peut-être que par effet inévitable d’habitude, je ne sentirai plus ces odeurs exquises qui m’envahissent le palais lorsque je vais chez Anatole ou ne verrait plus la magie que je trouve actuellement en allant sur la St-Laurent. Comme d’ailleurs, en retour, je ne m’extasie plus depuis longtemps sur la majesté du Mt-Orford ou que je ne me surprends plus à chialer dès qu’il y a cinq minutes de traffic sur la rue King Ouest à Sherbrooke ! (Vous pouvez ben rire de moi les banlieusards montréalais, c’est de bonne guerre ha ha).
Finalement, l’âge doit jouer aussi : probablement qu’au fur et à mesure que le temps va passer, Montréal va perdre de son attrait. Non pas pour la diversité qu’elle offre mais pour son rythme de vie un peu plus accéléré qui ne coïncidera peut-être plus là où je serai rendu dans ma vie. Sherbrooke gagnera alors en intérêt pour moi : plus de calme, etc. Anyway, au lieu de me prendre la tête, je pense que je devrais y aller comme Ti-Cul dans la chanson des CowBoys Fringants « parce qui sait qu’le vrai plaisir au fond c’est de pas savoir comment qu’a va finir sa p’tite histoire ». Bon début d’hiver gang où que vous soyez au Québec !
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