Saint-Pierre : escale française aux Amériques
Si il y a bien une chronique qui me tient à coeur c’est bien celle là !
Vous savez dans la vie, certains souvenirs restent gravés à jamais dans notre mémoire. Des souvenirs que, lorsque nous les évoquons, déclenchent une décharge de bonheur instantanée !
Je crois que mon séjour à Saint-Pierre-et-Miquelon peut être classé dans cette catégorie.
Encore une fois, l’histoire se déroule au début de l’été, la fin de semaine du 18 juin (le jour de l’Appel.. en France). Je voyage à Terre-Neuve dans le cadre des inventaires. Nous nous trouvons à Marystown, charmante petite ville au sud de Terre-Neuve à 300 km de la capitale, Saint John’s (je vous parlerai de Terre-Neuve une autre fois). Nous logeons dans un petit hôtel, l’hôtel Ville Marie, le genre d’hébergement « pas cher » fabriqué de murs en carton, où le plancher pousse des cris plaintifs sous nos pas. La vie en communauté y prend tout son sens.
Mais à l’intérieur il existe une cantine, où la nourriture, tout à fait bonne, est servie en portions généreuses pour une modique somme. Attenante à la bâtisse toute de bois vêtue, deux galeries en bois (terrasses) désignent chaque entrée. De grosses tables et chaises en bois sont à notre disposition pour déjeuner au soleil ! Et pour couronner le tout, à côté le barbecue est prêt à entrer en fonction. Tout cela pour dire que j’ai aimé ce charmant hôtel.
A une heure au sud, vous avez Fortune. Je vous préviens tout de suite, il n’y a rien de riche là dedans, du moins sur le plan mercantile. N’y cherchez pas de l’or où quoi que ce soit qui soit monnayable, la quiétude ça ne s’achète pas.
Ce petit port de pêche n’est pas un simple village, mais surtout une fenêtre sur le monde, une porte qui transforme l’espace-temps ! A 55 min de traversier et à une demi-heure de décalage horaire de Fortune, vous êtes en France ! Oui, oui, je ne vous compte pas des jokes (farce). Cela fait un an et demi que je n’ai pas été aussi proche de « mère patrie ». Dans le nom en tout cas, car enfin de compte, peut-on réellement assimiler la France à St-Pierre-et-Miquelon, la France d’Amérique ? Pas sûr !
En effet, même si là-bas l’euro règne en maître, même si les institutions françaises y sont bien ancrées, tel un chalutier français dans un port francophone à l’étranger, les français qui y vivent sont des St-Pierrais et des Miquelonnais, ils vivent en Amérique du Nord, ils ont leur identité propre !
Bref, je m’écarte de mon cheminement initial, à ce moment de mon périple, Saint-Pierre n’a de place que dans mon imaginaire. J’arrive donc aux abords du quai, là se dresse un imposant bâtiment gris, ce sont les Douanes Canadiennes. Ah oui, je ne vous ai pas expliqué la situation. Nous étions une bonne partie de l’équipe (environ 25) désireuse de visiter les îles, mais après un premier « écrémage » nous n’étions plus que 5 à posséder les documents requis, soit un passeport ou bien un extrait d’acte de naissance. Ensuite, il fallait embarquer dans le traversier, mais nous ne sommes pas encore à la saison estivale, les traversées se font rares. A l’hôtel, nous avions eu l’info qu’un navire partait le matin à 7h30. Arrivé au quai, point de bateau en partance de Saint Pierre, juste des chalutiers et autres gréments de Fortune ; même les douanes semblent inoccupées ! Seules quelques autos immatriculées SPM (Saint-Pierre-et-Miquelon, nous montre que nous sommes sur la bonne piste.
Néanmoins, la déception se lit sur nos visages d’infortunés. Nous déambulons dans les rues, dans l’attente d’un dénouement peu probable. Plus tard, l’accent français résonne à notre oreille, ce sont quelques plaisanciers Saint-Pierrais, à bords de leur voilier, prêt à appareiller, malheureusement, nous pouvons profiter uniquement de leur jovialité et de leur accent particulier. D’ailleurs, leur accent est un peu comme un alliage issu d’accent français et québécois.
Finalement vers 9H, l’office du tourisme chargé des réservations ouvre. Nous nous élançons à la rencontre de l’employé, là ils nous apprend que l’Atlantic Jet (trop hot comme nom !) offrira une traversée vers 14 h, mais le retour n’est pas avant le lendemain après-midi’ Or, 3 d’entre nous travaillent demain, seul Rolando et moi seront donc les heureux élus. Mon compagnon de route, un « fali bouhomme » (expression désignant un petit monsieur en Vendée) d’une cinquantaine d’année vient des Iles Vierges.
Nous voilà donc en possession du précieux sésame. Le reste de l’équipe nous souhaite un bon voyage puis s’en retourne à l’hôtel. Il ne reste plus qu’à attendre le départ.
Après s’être restauré dans un restaurant, nous entamons une petite marche de santé dans la campagne environnante. Nous y découvrons un paysage sauvage, pittoresque, un brin enchanteur. Imaginez une rivière qui serpente au milieu d’une vallée fluviale verdoyante, couverte de conifères, de feuillus, de buissons et de prairies. Cette végétation homogène est ponctuée de lupin mauve, plante indigène qui cohabite ou plutôt qui endure l’incroyable colonisateur européen le pissenlit prêt à la confection de délicieuse confiture.
Au travers de l’eau translucide de la rivière, j’aperçois des truites attendant avec patience de relever un défi avec le pêcheur à la mouche qui joue au prédateur. Parfaite image qui reflète le film « Et au milieu où coule une rivière ».
Désolé je m’égare, j’en incrimine la beauté de l’endroit qui vous procure une bouffée d’oxygène.
Il est 14H30, il est temps de rejoindre le quai pour embarquer. Là, une foule est déjà amassée, elle doit une majeure partie de son nombre grâce à la venue d’un groupe d’élèves anglophone. Nous rencontrons M. Pascal Daireau, chargé de la promotion des îles françaises. Il travaille à l’Information touristique de Saint-Pierre. Il nous aidera plus tard dans le choix de l’hôtel et les suggestions de visites.
Enfin le navire, battant pavillon français s’arrime au quai. Une certaine excitation monte en moi, je vais aller en France. Ca parait tellement irréel. Je me trouve à Terre-Neuve à 4600 km de Paris, et à quelques encablures de la France (25 km) !
L’Atlantic Jet, bateau aux allures futuristes, s’élance sous un ciel bleu. Le confort nous change bien des traversiers Québécois, mais le revers de la médaille est l’interdiction de se rendre sur le pont humer l’air marin ! Tant pis. De toute façon j’ai vite évacué cette idée, lorsque la brume enveloppa notre embarcation.
Heureusement, ce caprice météorologique ne s’éternise pas jusqu’à Saint-Pierre. Il était simplement là pour donner l’illusion de changer de monde.
Le brouillard se dissipe, terre à l’horizon ! St-Pierre, « terre insolite » comme les insulaires la qualifient là-bas !
Les premières petites îles françaises pointent le bout de leur nez. Ce sont les îles Verte, aujourd’hui inhabitées, petits bouts de terres sauvages à la frontière de la France et du Canada. Nous y découvrons quelques maisons abandonnées. Bientôt Saint-Pierre se dessine à l’horizon aux côtés de l’Ile-aux-Marin et de ces deux petits satellites, Grand-Colombier et l’Ile-aux-Vainqueurs, terre française en Amérique du Nord.
Bientôt nous passons un petit îlot rocheux arrosé par la houle où l’on a bâtit un phare de quelques mètres de hauteur. Puis nous longeons l’Ile-au-Marin jadis appelée « Ile-au-Chien » (je réserve ça pour plus tard).
Le navire pénètre dans le port. Le marin en costume jette les amarres. Comme d’accoutume je ne réalise pas ce qui m’arrive, cet instant est bien trop surréel.
Le quai est directement situé en arrière du bâtiment des douanes françaises, grande bâtisse rectangulaire à deux étages, le toit rouge, les murs jaunes. Collé à celui-ci vous avez la Poste, beaucoup plus imposante, elle donne sur la Place du Général de Gaulle.
A peine descendu du bateau que j’empoigne mon appareil photo histoire de faire de l’instantané. Puis, direction les douanes françaises, là l’agent tamponne mon passeport. Waouuu une nouvelle estampe !
Une fois sorti, comme promis à Sylvie, la française de notre équipe restée au Canada, Rolando s’agenouille et baise le sol français. Pour ma part je le ferai plus tard, là-haut dans la montagne !
Là vous me direz : « mais où se situe ce bout de terre ! Eh bien à 1800 km au nord de Montréal, mais vraiment au nord, et au sud de Terre-Neuve, une autre île un peu plus grosse !
Saint-Pierre-et-Miquelon, îles nordiques à l’opposée des autres collectivités territoriales d’outre-mer. Cet archipel est constitué de trois îles principales, dont deux sont reliées par un isthme de sable, Langlade et Miquelon. Plus de 85 % de la population est établi à Saint-Pierre, soit 5618 habitants (1999) répartis sur un territoire de 26 km’. Miquelon (110 km’) abrite le restant soit 698 âmes. Langlade (91 km’), lieu où la nature est reine, renferme d’avantage des résidences secondaires.
Par chance, le soleil est radieux. Première chose élémentaire à régler, l’hébergement. Nous n’avons pas de temps perdre dans la recherche d’un hôtel. Nous nous rendons à l’Office du Tourisme rejoindre notre contact M. Pascal Daireau.
Sur le devant du comptoir, plusieurs cartes d’affaires sont alignées. Je les prends toutes. La dizaine de cartes défilent sous mes yeux. Je m’arrête un instant, sur le Paris-Madrid. Le prix annoncé me paraît correct, vendu !
Après quelques recherches nous arrivons face à l’hôtel, une bâtisse aux façades grisâtre sans prétention, juste simple. Seul le panneau blanc rectangulaire orné des drapeaux bicolores et tricolores des deux pays voisin colonisateurs fait office de décoration.
Nous montons l’escalier en bois. Là-haut le chien et son maître nous attendent ! Je lui demande la chambre la moins dispendieuse (chère). Il réfléchit
« – Trente euros me répondit-il »
D’un coup dollars, francs et euros se bousculent dans ma tête ! Tous trois sèment la confusion la plus totale. J’ai encore le réflexe de convertir les euros en francs et ensuite en dollars ! Pas mal compliqué, pour moi qui considère souvent les maths comme une langue étrangère’
Je finis par faire confiance au calcul du gérant de l’hôtel.
Une fois la transaction réussie, il nous dirige vers notre chambre : une chambre tout à fait à la française, ancienne tapisserie ornée de motifs représentants des espèces de fleurs rouges, deux lit en bois, petit chevet en bois ancien, douches et toilette commune au fond du corridor,. Et pour répondre parfaitement au cliché : une petite fenêtre qui donne sur le port. Ca me change des gros hôtels Confort Inn !
Une fois cette première chose de réglée, il nous faut penser à un autre besoin primaire : manger ! Nous partons donc à la chasse à la nourriture. Nous longeons la rue du 11 novembre face au port où se succèdent de nombreux édifices publics tels que SPM Telecom, la trésorerie générale, la Chambre du Commerce, la gendarmerie’ Pas de doute, nous sommes bien en France. De mémoire près de 60% de la population est employé de la fonction publique ! En effet, il ne faut pas oublier que malgré la petitesse de leur territoire, les Saint-Pierrais en tant que citoyens français ont le droit d’accès à tous les services publics existant tout comme leurs congénères en métropole. Et c’est ça qui est spécial, presque tout est regroupé sur une même rue !
Ainsi, dès mes premiers pas dans cette ville, je me suis senti en France dans mon pays, mais en même temps je me sentais touriste à l’étranger ! D’ailleurs ce feeling là, je le ressentirai sûrement à Noël, quand je serai en France, puisqu’en bout d’ligne, ma vie est aujourd’hui au Québec, mon pays d’adoption.
Une seule enseigne me rappelle que nous sommes en Amérique du Nord, Rona le Quincailler
Mais pour le moment, point d’épicerie ; puis en suivant les indications d’un passant, nous nous retrouvons nez à nez à une petite épicerie.
A peine entré à l’intérieur et c’est un festival pour mes papilles gustatives, y’a plein de bonnes choses à manger et à boire’. Notamment les fameux « Pépitos » et autres gâteries, yogourts à la françaises (euh excusez yaourt devrai-je écrire). Je vois trop de choses alléchantes que je n’ai pas mangées depuis longtemps. Finalement, j’opte pour un repas campagnard traditionnel : saucisson sec de France, baguette (la vraie), et bien entendu une petite bière pour faire couler tout ça ! Etonnamment, la 1664 sera bue avant même que nous soyons prêts à manger ! Je n’ai pas pu résister à la déguster dans la rue, ici on n’a pas le droit mais c’est toléré’
Au fur et à mesure que j’écris cette chronique j’ai envie d’y retourner
Je vois en ma visite de Saint-Pierre, comme un retour aux sources, et Dieu sait que j’en avais vraiment besoin.
Nous poursuivons notre marche, les yeux grands ouverts à admirer notre nouvel environnement tout à fait enchanteur avec ces maisons bigarrées, jaunes, vertes, rouges et même roses, surplombées par la montagne, le tout entouré d’une mer bleu d’azur. Un véritable régal pour les pupilles (à ne pas confondre avec papilles !).
Au détour d’une rue, je suis époustouflé à la rencontre avec une relique belle et bien française, une vieille 4 L beige, avec encore les vignettes collées sur le pare-brise. Elle s’ajoute aux nombreuses Peugeot et Renault croisées ici.
Le ciel ensoleillé depuis notre arrivée s’ennuage progressivement, nous accélérons notre progression en direction des hauteurs de l’île afin de profiter du paysage. Nous gravissons un petit sommet montagneux d’une altitude de 100 m environ, la végétation est plutôt rase, de nombreux rochers affleurent, les arbres se font rares, au mieux seuls quelques buissons persistent à grandir. Le sommet de l’île, appelé Le Trépied, se situe à 207 m au-dessus du niveau de la mer.
Arrivé là-haut, alors que la brume gagne rapidement du terrain, nous sommes témoins d’une vue splendide, au loin l’Ile-aux-Marins et son église, Saint-Pierre, ses toits et façades aux couleurs vives qui se chevauchent’ Sur notre gauche, nous admirons un lac, un barrage de béton témoigne l’artificialité des lieux, peut-être qu’il sert pour l’eau potable et pour, jadis, produire de l’électricité.
La brume, ayant décidé de s’établir ici, nous entamons notre descente’ Graduellement un ronronnement arrive à mes oreilles, à chacun de mes pas celui-ci s’amplifie. Bientôt, je rejoins un sentier de gravier qui mène à une petite usine. Le bruit assourdissant provient des imposants moteurs diesels assurant la production d’électricité’ Les trois cheminées crachent une fumée grisâtre qui se noie dans la brume. Non loin d’ici un petit lieu de culte a été aménagé dans une grotte creusée dans la roche. Une statue de la Vierge désigne l’entrée, sans doute érigée dans le but de protéger les marins partis en mer. Au fond de la cavité, passé la balustrade blanche, des fleurs reposent sur un petit hôtel en bois surmonté d’une croix peinturée en bleu clair.
La noirceur envahit Saint-Pierre, la température refroidit, photographie de la réplique de la grotte de Lourdes, il est temps de rejoindre l’Hôtel, déguster du saucisson!
Au retour, nous longeons le petit port de plaisance, tout est calme, la brume a absorbé l’ambiance sonore, le boulevard Constant Colmay que nous empruntons est lui aussi désert’
Un peu plus loin nous arrivons à côté d’une cabine téléphonique de type britannique, c’est-à-dire tout de rouge vêtu. Voilà une bonne occasion de téléphoner à mes parents !
– « Allo Maman ! Je suis en France »
– « Hein comme ça tu rigoles »
– « Ben non je t’avais promis que j’irais en France cette année »
Après quelques autres échanges verbaux destinés à lui mettre la puce à l’oreille, elle devina le subterfuge ! Nous étions dans le même pays, mais pas sûr le même continent !
S’en suit un bonjour au reste de la famille jusqu’à la dernière unité restante sur ma carte d’appel.
Après une telle journée, pleine de rebondissements, de rencontres, de coups de c’ur, la fatigue est descendue jusqu’au bout de mes orteils’ je dormirai bien à soir !
Arrivé dans la chambre d’hôtel, le repas s’improvise, quelques rires éclatent, nos impressions voyagent à travers nos paroles, que du bonheur ! Après ça une petite cigarette Malboro debout devant la petite fenêtre ouverte pour clore cette journée. En face de l’hôtel, le faisceau lumineux du phare transperce la nuit, éclairant tour à tour ce bout de terre française perdu au milieu des Amériques et cet imposant océan qui relie tant de mondes différents.
Leave a comment