U. S. qu’on s’en va? - Immigrer.com
jeudi , 21 novembre 2024
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U. S. qu’on s’en va?

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Je commence en souhaitant tout d’abord la bienvenue à BlueBerry, notre nouvelle collègue : très heureux de compter une autre chroniqueure dans le ROC.

« U.S. qu’on s’en va ? » est le titre d’un spectacle du monologuiste québécois, Yvon Deschamps. Et c’est ce que je me suis dis en faisant un bilan des rendez-vous nationaux des trois principaux partis politiques québécois : Parti Libéral du Québec (PLQ), Action Démocratique du Québec (ADQ) et Parti Québécois (PQ).

Où est-ce qu’on s’en va ?

Sans présumer de la totalité des propositions qui ont été débattues, je me demande en effet quel est le message lancé aux immigrants qui choisissent le Québec.

À tout maître, tout honneur, commençons par le parti au pouvoir, le PLQ. Lors d’un atelier sur la langue française, personne n’a répliqué au militant libéral qui affirmait que «l’avenir du Québec est plus important que l’avenir du français ». Est-ce cela l’héritage du « maître chez nous » de Lesage ? Du caractère distinctif du Québec de Bourassa ?

Et Jean Charest pourtant de rappeler la « mission sacrée » du Premier Ministre du Québec de protéger la langue française ici. Et cela sans toucher, même du petit doigt, la Loi 101. J’ai hâte de voir comment le plan d’action promis par Christine St-Pierre, ministre responsable du dossier, saura concilier tout cela.

Parce que quelques soient les millions distribués pour la francisation – à la grande joie de Yolande James, la ministre de l’immigration, qui avait enfin une bonne nouvelle à annoncer – cela n’a aucune importance quand tu ne sens pas une volonté politique claire de protéger le français. Dans ce cas-là, les millions ne servent pas à renforcer quoi que ce soit : ils servent à gagner du temps.

Du côté de l’ADQ, c’est l’idée de prioriser la capacité d’employabilité chez l’immigrant avant sa capacité de maîtriser le français qui me surprend. Oui, l’insertion professionnelle des immigrants est vitale. Mais là, n’est-ce pas justement réduire l’immigrant à sa seule dimension économique ? Avec une bonne capacité d’employabilité vient le travail, mais rien que le travail. Le système actuel de sélection favorise déjà l’impression que l’immigrant paye – dans tous les sens du terme – son droit à immigrer ici, il en sera désormais convaincu avec cette mesure. On pourra m’objecter qu’une fois installé ici et inséré en emploi, on pourra alors lui apprendre le français. Bonne chance : avec cette mesure, on lui dit – avant même qu’il immigre ici – que c’est surtout son employabilité qui est payante et attractive. Or, l’idée c’est de rendre le français payant et attractif.

En priorisant le français ou en appuyant massivement une bonne maîtrise du français dès le début, on vise plus large. On dit à l’immigrant que ce n’est pas seulement sa force de travail qui est sollicitée mais aussi sa capacité et son désir de s’insérer culturellement dans la société québécoise. On veut en faire des citoyens québécois, pas des mercenaires du marché du travail.

Persister dans cette approche purement économique, c’est ne pas s’étonner ensuite que l’immigrant instrumentalise son intégration en faisant du chantage linguistique par exemple. Or, je reste convaincu qu’une intégration réussie ne se marchande pas.

Face à de telles propositions, que l’on m’explique en quoi être québécois voudra réellement dire quelque chose dans quelques décennies si le français n’est plus placé au centre de la société. Dans ma dernière chronique, je rappelais que des principes aussi fondamentaux que la laïcité ou l’égalité sexuelle perdraient toute saveur au Québec sans le français.

Mais en fait, ces propositions ne sont pas étonnantes. Le dossier linguistique a toujours été une épine dans le pied de tous les partis politiques québécois. La gestion de la loi 101 a toujours été directement téléguidé depuis le bureau du Premier Ministre, tant c’est un dossier explosif. Et plus particulièrement pour les partis fédéralistes. Et c’est encore plus vrai pour le PLQ : refuge historique des partisans d’un « one language, one Canada » au Québec, il sait qu’il ne pourra jamais s’aventurer profondément sur le terrain linguistico-identitaire sans vivre de tensions avec sa position fédéraliste. Tôt ou tard, il sait qu’il finira par rencontrer une impasse idéologique : jusqu’à un certain point, vouloir un Québec fort et différent dans un Canada uni est impossible sans une révolution des mentalités.

Ne pouvant donc jouer à fond la carte du c?ur, le discours fédéraliste joue alors celui de la raison : l’économie. Tiède sur le dossier linguistique, Jean Charest multiplie par contre les annonces à ce niveau : libéralisation du marché canado-européen, ouverture du Grand Nord québécois, réinsertion des assistés sociaux. L’argumentaire fédéraliste est ainsi bien rôdé autour des thèmes de la prospérité, de la stabilité et de la croissance. Aux retombées plaisantes pour l’immigrant : sécurité publique, tranquillité, emplois, droits et libertés juridiques. Pitch de vente idéal pour qui fuit un pays économiquement ravagé ou politiquement instable. Lisez l’argumentaire du collectif dirigé par André Pratte dans le livre Reconquérir le Canada sorti récemment : le maintien du Québec dans le Canada se justifie essentiellement d’un point de vue économique pour eux.

En soi, je n’ai rien contre un discours économique, bien au contraire : pragmatisme et lucidité sont de précieuses qualités. Qui ont d’ailleurs forcé le mouvement souverainiste à démontrer la faisabilité économique d’un Québec indépendant. Ce qui est une très bonne chose pour le débat public car non seulement il n’y a pas pire impasse qu’une discussion idéologique entre croyants et non-croyants mais en plus, cela permet aux communautés culturelles de s’y insérer. En effet, le projet souverainiste est essentiellement culturel et symbolique : il repose donc beaucoup sur certains éléments du passé que l’immigrant, par définition, n’a pas au Québec. En revanche, en l’économiscisant, c’est-à-dire en débattant d’enjeux surtout présents et futurs, on permet au néo-québécois de s’approprier un futur commun avec le québécois de souche.

Mais il faut rester vigilant. Car au nom justement du « c’est plus pratique », du « c’est plus simple » ou encore du « c’est moins compliqué » qu’on en vient à glisser. C’est-à-dire à tout justifier au nom du pragmatisme. Vous savez, le genre de glissade subtile et insidieuse qui fait en sorte qu’on se retrouve, du jour au lendemain et sans s’en rendre compte, à se demander pourquoi continuer à tout faire en double (français/anglais) quand on peut tout simplifier (anglais) ?

Mais cette incapacité chronique du discours fédéraliste à faire vibrer émotionnellement a connu son heure de gloire avec le multiculturalisme de Trudeau. Ce Concept Canada, qui joue sur l’égalité des peuples, l’ouverture aux cultures et l’universalité des droits et libertés, dote enfin le fédéralisme du symbolisme qui lui faisait tant défaut. À tel point que le discours fédéraliste est incapable de l’actualiser et de l’alimenter, se contentant de le recycler. Pourquoi faire plus d’ailleurs ? Cela est encore largement suffisant pour remplir d’illusions les milliers d’immigrants qui choisissent le Canada chaque année.

Côté PQ, ce n’est pas la défense du fait français qui pose problème : c’est le flou artistique de la nouvelle position idéologique. Poser des gestes de souveraineté en se gardant un petit lousse des fois que les québécois soient prêts un jour à un référendum, ça entretient la confusion, notamment chez l’immigrant. Au mieux, le discours souverainiste peut lui paraître incohérent ou opportuniste ; au pire, il peut lui apparaître désuet : si même le PQ met le référendum sur la glace, quelle différence finalement entre lui et les partis fédéralistes ?

Alors ici, on joue à fond la carte du c?ur : les convictions, la croyance, bref, la souveraineté doit être un acte de foi. C’est l’imaginaire qui doit s’activer pour rêver au Grand Soir. Pari audacieux avec l’immigrant car il s’agit pour lui de se projeter et de s’investir dans un projet collectif à l’horizon indéfini alors que sa préoccupation principale, le plus souvent, est de tenter de réussir son projet individuel – ou familial – le plus rapidement possible.

Surtout que le Québec d’aujourd’hui est une société développée, démocratique offrant de solides possibilités de vivre et de travailler en français. Bref, le projet souverainiste semble avoir perdu toute utilité, donc. Raisonnement incohérent : c’est justement parce qu’il y a eu un mouvement souverainiste que l’on peut encore aujourd’hui vivre et travailler en français au Québec.

Tout cela est révélateur d’une confusion généralisée. Politiquement d’abord, chaque parti tente tant bien que mal de s’adapter à la dynamique de gouvernement minoritaire. Le PLQ ressort les bonnes vieilles recettes (sortir les grands projets économiques pour faire oublier le gênant dossier linguistique) ; l’ADQ vit sa crise de croissance et son chef doit apprendre quelque chose d’inhabituel pour lui (déléguer) ; le PQ tente de louvoyer avec son article 1. Chacun tente de gagner du temps car dans la tourmente de la transition, l’heure à la consolidation du peu qu’on peut encore sauver.

Sociologiquement ensuite, j’ai l’impression qu’on vit un essoufflement de la Révolution Tranquille. Ça fait bientôt cinquante ans qu’on vit sur ses acquis, comme si on essayait de faire durer le plus longtemps possible les derniers bouts qui reste de ce qui est convenu de plus en plus d’appeler un Âge d’Or.

Quand je regarde les politiciens actuels, je me rappelle avec émotion la grandeur et le charisme des Trudeau et Lévesque (pour ne citer qu’eux). Moi aussi, ça me stimule. Mais jusqu’à un certain point : parce que égoïstement, comme néo-québécois, je n’ai pas connu ces époques-là. C’est un passé que je ne peux vivre que par procuration, que je ne pourrai jamais m’approprier. Bref, je suis content qu’on vive cette espèce de transition où on ne semble pas trop savoir où on s’en va. Parce qu’on va finir par être obligés de se trouver de nouveaux leaders, bien à nous – au lieu de tenter de faire du réchauffé qui nous garde dans le passé (cf. Justin Trudeau).

L’essoufflement, c’est aussi que la Révolution Tranquille n’a jamais eu comme ambition, selon moi, de créer une nouvelle société québécoise. Vous savez, cette ère lumineuse et remplis de tant de promesses qu’il faut absolument tout faire pour la préserver telle quelle. C’est-à-dire l’idée que ce qui a été acquis dans les années soixante doit être désormais maintenu coûte que coûte en l’état. Et que toute nouvelle proposition n’a que deux avenirs possibles : soit respecter les cadres de l’Âge d’Or, soit être excommuniée.

Non, la réelle ambition de cette Révolution fût de décadenasser la société québécoise. La libérer évidemment des dogmes de la Grande Noirceur. Mais la libérer aussi et surtout de tous les dogmes passés, présent et à venir. C’est-à-dire convaincre les québécois, une bonne fois pour toute, que plus rien ne peut l’enchaîner et que tout est possible. Qu’ils ne sont pas nés pour un petit pain.

En voulant préserver intégralement les acquis de la révolution tranquille dans le contexte d’aujourd’hui, on peut donc être amené à faire l’inverse de ce que l’on prône en fait : maintenir des idées progressistes qui sont devenues des dogmes avec le temps. Bref, la Révolution Tranquille nous a légué le droit et le devoir de réinventer cette société. C’est, je pense, une des voies à explorer pour inclure véritablement les néo-québécois. À ce titre, j’aime beaucoup le livre Qui a raison ? qui est un recueil d’une correspondance entre le fédéraliste André Pratte et le souverainiste Joseph Facal. Ils y abordent tous les deux l’avenir et les défis du Québec de manière rafraîchissante.

Parlant de défi : la Cour Suprême du Canada doit se pencher – probablement cette année – sur la légalité de la Loi 104. Loi qui fût votée à l’unanimité par l’Assemblée Nationale afin de colmater une brèche juridico-linguistique. Brèche qui a permis par un tour de passe-passe, pendant des années, à des milliers d’immigrants de contourner l’obligation de la scolarité en français à leurs enfants. Il serait ironique qu’elle se penche sur la question seulement en 2009 : cela fera alors tout juste quarante ans après la crise de St-Léonard qui fût à l’origine du Bill 63, la première loi linguistique au Québec.

Mais entre vous et moi, je me contenterai très bien – pour commencer – d’un défilé du Canadien de Montréal pour sa victoire à la prochaine Coupe Stanley !

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