Un an déjà
Le 13 octobre 2004, je passais les portes de l’immigration à l’aéroport Pearson de Toronto.
En relisant cette phrase, une petite chanson sortie tout droit de mon enfance me trotte dans la tête : « Voici venu le temps la la la » j’arrange les paroles et c’est le mot bilan qui vient remplacer les rires et les chants. Quoique ? Finalement en y regardant de près cette année s’est bien passée, plutôt bien même.
J’ai traversé l’hiver sans encombres, je passerai sur l’épisode de la grippe, horrible. J’ai eu l’impression de renaitre en même temps que le printemps et j’ai suvécu à la chaleur tropicale de l’été. Septembre, magnifique … et puis octobre déjà.
J’ai souvent tendance à être très enthousiaste lorsque je parle du Canada et de Toronto en particulier. Un vrai guide touristique ! J’arrivais même à vendre l’hiver au plus frileux de mes amis.
Mais un vrai bilan ne serait pas complet sans parler des petites choses que j’aime moins, voir carrément celles qui m’énervent.
En tête de ma liste noire donc: le dress-code (à prononcer avec emphase pour plus d’effet)
J’ai eu envie de rire en lisant donc le code vestimentaire inscrit sur le guide que l’on m’a remis le jour de mon embauche … puis finalement, l’amusement passé (ah bon c’est pas une blague), le désarroi a pris la place. Maintenant, je n’en peux plus. Dès que j’en parle, je m’énerve. J’ai demandé à mes collègues le bienfondé de tout ça. Parait que sans code, certains viendraient en jogging ou en short de plage … Merci les gars !
Du coup je n’ai le droit de porter de jean que le dernier vendredi du mois (attention à celui qui rigole) et je dois verser 2$ pour les bonnes oeuvres.
J’ai eu beau expliquer que je travaillais aussi bien en jean, que je serais mieux habillée en jean que certains avec leurs habits sans formes. Rien n’y fait. Du coup, j’ai acheté un pantalon bleu-marine, coupe jean que je porte assez régulièrement. Mais c’est pas du jean, alors on ne me dit rien. Je pourrais en écrire des pages et des pages et des pages tellement ça me met hors de moi.
Pour ça la France me manque. Les français savent s’habiller sans qu’on leur donne un document de 4 pages. Les gens savent porter des jeans sans que ça fasse négligé. Les couleurs sont coordonnées. Ca va surement en faire sourire beaucoup, d’autres au contraire vont tout à fait comprendre (les gars on se contacte pour monter un collectif anti dress-code), mais c’est depuis que je suis ici que je me suis rendue compte à quel point on juge les gens par leur aspect vestimentaire en France. Résultat, je dois avouer avoir un peu trop vite mis des étiquettes sur le dos de certains lorsque je suis arrivée.
Autre point noir, le fameux BYOW ou BYOB. Derrière cette abréviation barbare, se cache une pratique que je trouve … hum … digne de l’âge de pierre. Le bring your own wine, signifie, comme son nom l’indique, que vous devez amener votre propre vin (par extension, boisson alcoolisée) lorsque vous êtes invité à une soirée. Jusque là me direz-vous, plutôt logique. Sauf qu’ici, on boit ce qu’on a amené, on ne partage pas avec le voisin (sauf s’il vous le demande gentillement et qu’en plus il est mignon) et surtout, on ne pioche pas dans la réserve des autres. Bon ça a peut être l’avantage d’éliminer les piques assiettes en tout genre, mais je trouve ça socialement moyen.
Personnellement, ça me fait penser à la scène des Bronzés font du ski quand Marius amène une bouteille de vin rouge pour sa pomme car « il ne supporte pas le vin blanc ». A mourir de rire ! Et bien je trouve ça tout aussi ridicule en vrai. Ce qui m’énerve, c’est que sur certaines invitations, il y en a qui le précise. Pas plus tard qu’hier, je reçois un e-mail m’invitant à un anniversaire avec la mention BYOB juste à côté de l’heure de rendez-vous. Hum, on avait compris.
Dernier point noir : les vacances … Deux semaines c’est minable ! Quand on sait que le Canada est le 2ème plus grand pays et qu’on a la famille à visiter … deux semaines c’est vraiment trop peu.
J’ai de la chance, à partir de janvier 2006, j’aurai 3 semaines de vacances. Puis 4 semaines en 2009, si je suis toujours là. Par contre la 5ème semaine n’arrivera jamais car elle a été supprimée.
A chaque fois que je discute avec ceux qui ont connu les 5 semaines de congés, tous me répondent la même chose : je préfère gagner moins et avoir plus de vacances. Le problème c’est que peu d’entreprises proposent cette option.
Alors pour le moment, je rêve devant ma télé en voyant des reportages sur la Nouvelle Ecosse ou le Nouveau Brunswick, j’écoute avec envie le récit de voyage de mes voisines qui sont allées passer quelques semaines au Yukon, pour faire la descente de la rivière en canoé et je profite de chaque week-end pour aller visiter l’Ontario, ou plutôt les environs de Toronto … c’est toujours ça.
Bon, je dois avouer qu’il y a encore une dernière petite chose qui me chiffonne : le manque de spontanéité des gens ici. Tout est planifié, codifié, organisé. Par exemple, j’avais prévu de voir une ancienne collègue après le travail. En France, on se serait prévenu un peu au dernier moment, puis on aurait décidé sur le moment où aller. Là, une semaine à l’avance, on avait prévu, l’heure de rdv, l’endroit où prendre un verre et presque le sujet de conversation.
Un jour, le collègue qui s’occupait de ma formation dans l’entreprise où je travaille actuellement me demande mon avis sur le Canada et les canadiens. De fil en aiguille je finis par lui avouer que j’avais quelques problèmes avec le peu de place qu’il restait pour l’imprévu car du coup, c’est assez dur de voir les gens, sans réserver un peu de leur temps longtemps à l’avance. Il est resté silencieux pendant quelques minutes, et j’ai bien cru m’être mal exprimée et l’avoir vexé, mais après ce temps de réflexion, il m’a regardé droit dans les yeux et m’a dit : « you know what Sophie … you’re right ». Je crois que malgré moi je lui avais fait prendre conscience de certaines choses. Du coup, il est parti dans une liste incroyable, qui m’a fait froid dans le dos. Il savait que ce samedi là, il se lèverait à telle heure pour aller chez Canadian Tire échanger le cadeau pour son père, ensuite, il irait jouer au foot. Il aurait le temps de rentrer pour prendre une douche puis lire quelque pages de son livre (je n’invente rien là !!! Il prévoit même ça) pour ensuite rejoindre ses amis chez l’un d’eux boire quelques verres avant d’aller au restaurant où ils ont (bien sûr) réservé une table.
Bon c’est un cas un peu extrème, mais en règle générale, il y a très peu de place à l’imprévu. Le seul côté positif de tout cela (ça va faire plaisir à ma mère) : je deviens de plus en plus organisée (bon ok Laurence, sauf pour les chroniques 😛 )
Voilà pour mes petits regrets au quotidien, parce qu’après tout, il ne faut pas se voiler la face, on ne peut pas tout aimer, trouver tout merveilleux et formidable en se disant qu’on aurait dû faire le grand saut bien des années avant !
Mais quand je regarde ma liste des points positifs, tout ce que j’ai gagné en venant ici, je me dis que, vraiment, j’ai bien fait de venir. Pas de regrets à avoir si ce n’est de ne pas avoir su entrainer plus de gens dans mon sillage.
En 365 jours, partis de pas grand chose, on a déjà réussi à obtenir :
2 emplois chacun, le 2ème étant vraiment mieux
1 appartement (avec jardin)
1 bonne complémentaire santé (et une dentiste qui nous adore, forcément)
2 cartes de crédit
1 voiture
1 assurance à un prix raisonnable pour Toronto
Je passe sur les appareils electro-ménager en tout genre, mais vous l’aurez compris, on a pu très vite se re-construire un petit nid bien confortable.
Mais surtout en une année, j’ai compris ce que le mot départ signifiait une fois arrivée de l’autre côté de l’atlantique. J’ai quitté un pays où j’avais mes habitudes, ma famille, mon cercle d’amis, mais surtout j’ai quitté un endroit où l’on me connaissait et où malgré moi je m’étais laissée enfermer dans une certaine image que les gens avaient ou voulaient avoir de moi.
Ici personne ne me connait, personne ne m’attendait, personne n’est là pour moi. L’avantage dans tout celà est que l’on choisit qui l’on veut être et c’est une chance à ne pas laisser passer.
Je dois dire qu’en arrivant l’année dernière, j’ai surtout mis la priorité sur trouver du travail. Puis l’hiver est arrivé vite, très vite et la majorité des gens hibernent, il parait qu’en fait, ils se reposent des nombreuses parties et activités de l’été, c’est en tout cas ce que m’a expliqué ma collègue. Du coup j’ai commencé à vraiment m’intéresser à ce qui se passait autour de moi qu’au printemps.
Maintenant, je ne veux me fermer aucune porte, je veux tout essayer car finalement, tout est possible. M’inscrire dans une équipe de niveau intermédiaire de Floor Hockey alors que je n’y ai jamais joué. Pas de problème, je dis oui, puis finalement je m’aperçois que je me débrouille pas si mal. Du coup, je fonce m’inscrire aux cours de boxe Thai dans la salle qui vient d’ouvrir à côté de chez moi. Finalement je réalise que même si c’est dur, je m’éclate bien. On a besoin de volontaires pour tel événement : ok je suis là. Ils vous manquent quelqu’un pour l’équipe de Hockey de ce lundi, je dis oui.
Le danger de tout ça, c’est qu’il va bien falloir que j’apprenne à dire non. L’autre jour, une amie canadienne m’a dit que ce qu’elle aimait chez moi c’est que j’avais plein de centres d’intérêt. Ca m’a fait sourire car c’était bien la première fois de ma vie qu’on me le disait. En France, ma famille est persuadée que je n’aime pas le sport. Mes amis pensent qu’à part les soirées et le ciné je passe mes journées à dormir.
Tout ça pour vous dire que j’aime ma vie ici, que cette année est passée si vite que j’ai du mal à réaliser que je fête mon premier anniversaire ici. Puis finalement, en me penchant un peu plus sur chaque moment de ces 365 jours, je réalise qu’il m’aurait probablement fallu 5 ans pour en accomplir autant en France.
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