Un Français déchaîné
Arrivé aux limites de mon inspiration, je m’aide parfois de ce qui se passe sur le forum pour rédiger mes chroniques. Cette fois, le sujet s’est presque imposé de lui-même.
Évidemment, cette chronique va faire réagir. Mais après tout, cela faisait longtemps que je n’avais pas usé d’un ton polémique pour mes modestes compositions mensuelles. Je sais que ça en énerve, je sais aussi que ça en fait plaisir…. mais n’est-ce pas là une des caractéristiques de la polémique ? Alors qu’importe : plume au clair ! À l’assaut !
Il y a quelque chose qui m’agace, qui m’irrite et qui me chagrine en même temps. Cette image que parfois on me colle, mais qui a peine à rester accrochée, tellement ceux qui me la colle me connaissent bien mal : cette image d’anti-Français donnée à la va-vite, lorsque les arguments ne suffisent plus et qu’il faut absolument m’inclure dans une « catégorie ». De là, qu’importe ce que je pourrais exprimer, qu’importe la manière, dans l’esprit de certains ça sera juste le simpliste aphorisme : « faut pas faire attention, il est juste anti-Français » !
Il est clair que je ne suis pas le dernier à critiquer les travers de mes compatriotes. Je le faisais déjà en France et c’est un peu cela qui m’avait aussi poussé à m’engager en politique. Mais force est de constater, que maintenant que j’ai posé mes valises ailleurs, j’ai d’autant plus de recul sur mon pays d’origine.
Mais vous ai-je dit, ne serait-ce qu’une seule fois, que je déteste la France ? Jamais ! Jamais, sinon je vous aurais menti honteusement. J’aime la France. J’aime son architecture, son histoire, sa littérature. J’aime l’esprit critique que l’on sait y développer. J’aime me prélasser au Café du Dôme, mangeant une assiette de cochonnailles accompagnée d’un Brouilly. J’aime me balader sur le Mont-St-Michel, en particulier tard le soir. J’aime un certain art de vivre. J’aime la Provence, mais moins que ma Normandie. J’aime la ville de Lille et ses habitants presque aussi chaleureux et simples que les Québécois. J’aime Paris, que je considère, avec Prague, comme la plus belle ville au monde….
Oui, j’aime tout cela ! …. Mais nous sommes sur un site d’immigration au Canada, pas sur un site qui s’intitule : « Quelles seraient les raisons qui vous feraient rentrer en France ? ». Car si la question était celle-ci, je ferais un copier-coller du paragraphe précédent, en y faisant même des ajouts majeurs : mes amis et mes grands-parents.
Mais je n’ai pas immigré pour cela. J’ai immigré au Québec pour le Québec, mais aussi parce qu’il y avait des choses en France qui rendaient la vie insupportable. Oui, insupportable ! ce n’est pas votre cas ? Tant mieux pour vous ! Mais il se trouve que mon immigration est aussi née d’une fuite. C’est la réalité, c’est MA réalité. Faudrait que je le cache ? Faudrait que je subisse le traitement acariâtre des inquisiteurs de la confrérie « touche pas à ma France » ? Ne soyons pas ridicules !
D’autant plus que des Français installés au Québec, en trois ans bientôt, j’en ai vu un très grand nombre ! Plus je pense, que la plupart des gens du forum. Et il en ressort que le plus grand nombre partage mon opinion. C’est dire que ces inquisiteurs improvisés devront en brûler des hérétiques ! Ayoye ! Va en falloir du bois !
Ce qui m’amuse encore plus, c’est cette absence de constance dans les jugements que l’on nous fait parfois. Un jour, je dirais que l’insécurité en France est un gros problème, je serais donc l’anti-Français de service…. Par contre, lorsque j’expose le fait que les routes au Québec sont pourries, que nous payons beaucoup d’impôts, là on va me dire que je suis simplement réaliste ! De la constance diantre ! Soyez logiques au moins, dites que je suis anti-Québécois !
Comme vous, Français encore en France, j’ai été baigné par les nouvelles, par l’autocongratulation systématique, qui consistait à dire que la France était la meilleure partout. Sur le coup, on ne s’en rend pas compte, mais une fois au Québec, amusez-vous à écouter les nouvelles de France 2, ou de TF1 : à les écouter, les Français sont les meilleurs et les plus forts. Les plus à la pointe en matière de technologie, les plus compétitifs lorsqu’il s’agit de contrats à l’exportation, etc.
Je crois que le premier qui a commencé à me faire réaliser cela, c’est évidemment un étranger qui connaissait tout de même assez bien la France. Il y a quelques années, une connaissance originaire d’Autriche (non, il ne s’appelait pas Arnold), m’avait un peu parlé de ce nombrilisme qui contrastait prodigieusement avec ce qu’il avait l’habitude de voir dans son pays et ailleurs. Günter, c’était son nom, était presque plié de rire de voir le comportement qu’il aurait compris dans un pays comme les Etats-Unis, mais qu’il avait du mal à concevoir dans un petit pays, dans une petite puissance comme la France. Comme si les Français étaient restés deux siècles en arrière, à l’époque où ils dominaient encore le monde aux côtés des Britanniques.
Tout est donc meilleur en France. Le pays des droits de l’homme, le pays de l’exception culturelle, le pays des Lumières…. oui, mais en y pensant un peu plus, il s’agit là d’héritage de notre histoire. Aujourd’hui, le Canada respecte bien plus les individus (et pas seulement les hommes) que la France, l’exception culturelle qui consiste à mélanger la langue française avec l’anglais et où il est devenu à la mode de s’auto-flagéler sur les erreurs de notre histoire, alors que les événements se sont produits en des temps où nous n’étions même pas nés ! Vous pensez que les Britanniques assument mal leur histoire, alors qu’elle était autrement plus sanglante que celle de la France ?
La France, terre de paradoxes où tout le monde veut des réformes pour tout et rien, mais qui sera paralysée par des grèves et des manifestations si la moindre réforme est proposée. Nation qui aime à se dire « une et indivisible », mais qui favorise d’elle-même des communautarismes. Certes, on peut y trouver un certain charme, mais cela peut aussi profondément agacer, surtout lorsque l’on fait partie de ces personnes qui souhaitent faire bouger ce peuple des plus conservateurs, mais qui l’ignore et qui ne le reconnaîtra jamais.
Je suis Français, et j’en suis fier. Fier de mon héritage culturel, fier d’être ce que je suis et fier d’avoir réussi à m’ouvrir sur autre chose et à aiguiser mon esprit d’homme libre et mon esprit critique. Même si mon cœur est déjà bien québécois, mon sang restera Français (mais surtout Normand dans le fond !).
J’ai donc le regret de vous dire que non, je ne suis pas un anti-Français…. Si je suis un « anti », ça serait plus une réaction à une certaine mentalité française émergeante avec laquelle je me sens étranger en mon propre pays. Car il est clair depuis que je suis ici, je me sens bien mieux au Québec qu’en France. Devrais-je nier cette réalité pour faire plaisir à d’aucuns ? Pour ne pas bouleverser leurs repères et leurs certitudes ? Non ! Ça serait là aussi bien mal me connaître !
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