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mercredi , 30 octobre 2024
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Une autre occasion de se vivre au Québec

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Pour cette rentrée, beaucoup de choses passionnantes se passent dans l’actualité. Il en est cependant une qui mériterait selon moi davantage d’attention qu’elle n’en a reçu de nos médias et je tiens donc à lui consacrer cette chronique.

FRANQUS (pour Français Québécois : Usage Standard) est un projet impliquant l’Université de Sherbrooke et l’Office Québécois de la Langue Française (OQLF) en vue d’élaborer un dictionnaire de la langue française d’ici, c’est-à-dire du « français vu du Québec ». Il existe déjà d’autres dictionnaires du genre mais Franqus sera le premier à être conçu exclusivement à partir de corpus linguistiques québécois. En d’autres termes, ça sera le premier dictionnaire de langue française fait hors de France. Je ne peux que soutenir cette excellente initiative.

Le projet est stimulant mais les défis, on s’en doute, sont nombreux et complexes. Il n’est pas facile en effet de recenser tous les termes d’usage courant susceptibles de refléter la réalité contemporaine d’une société dans ses facettes sociale, culturelle, politique, économique, sociale et scientifique. Le terme « standard » prend ici une dimension centrale : En effet, qu’est-ce qu’un parler « standard » ? Ça sera donc forcément un exercice de jugement qui aura sa part de subjectivité. Tout le monde ne sera donc peut-être pas d’accord – en tout ou en partie – avec les choix sociolinguistiques qui seront posés mais impossible d’y couper. Il était en effet plus que temps que la société québécoise se dote d’un premier outil de ce genre pour refléter sa distinction historique et son autonomisation croissante sur le plan linguistique. Le Brésil possède son propre dictionnaire du portugais brésilien depuis plus d’un siècle, tout comme l’espagnol mexicain a le sien. C’est de ce fait atténuer encore un petit peu plus avec cette contradiction d’un Québec criant sur tous les toits sa spécificité socioculturelle (dont la langue est une des poutres porteuses) sans pour autant s’assurer d’un étayage proportionnel à ce sujet.

Surtout – et c’est ce qui nous intéresse le plus ici – voilà enfin un message (un peu plus) clair envoyé finalement aux immigrants : le Québec a développé ses particularités par rapport au français et voici un dictionnaire les référençant. La dimension sociologique étant importante, cela permettra donc à l’immigrant d’encore mieux comprendre que l’usage de tel ou tel mot au Québec prend toute sa saveur en fonction du contexte culturel dans lequel il vit (le verbe « vivre » étant à prendre ici au sens propre). Si le Larousse et le Petit Robert ne perdent rien de leur précieuse utilité – j’en suis un consommateur régulier – il n’en reste pas moins qu’ils ont été développés dans un contexte européen. Leur utilisation, dans plusieurs situations sociales du quotidien au Québec, se révèle donc inappropriée. Un petit exemple tout simple mais reflétant toute la complexité sous-jacente : si le mot « congère » existe bel et bien dans la langue française, c’est l’expression « banc de neige » qui lui sera apparemment préférée dans Franqus. Pourquoi ? Parce que c’est cette expression qui sera dite, entendue et partagée dans la réalité concrète et quotidienne de l’immigrant une fois au Québec. Pas le mot congère. Et l’on conviendra que l’intégration, ça passe par là aussi : au-delà de la St-Jean, des discours de nos élus ou de la belle Francophonie mondiale, c’est au dépanneur, à l’épicerie et dans la cour de l’école que se vit la culture de la société d’accueil.

Et c’est là l’une des forces de ce projet : veiller explicitement (et officiellement : n’oublions pas que l’OQLF est partenaire du projet) à faire l’arrimage entre mot et contexte. Tous deux sont indissociables pour qu’une langue s’écoule et se vive dans la voix de l’immigrant dans ses interactions avec les gens d’ici. C’est ce qui s’appelle le principe d’indexicalité en sociolinguistique ou encore en ethnographie si je ne me trompe pas : ici, l’universalisme n’existe pas car chaque mot prendra un sens spécifique en fonction du contexte culturel où il émerge et grandit. Ceci étant susceptible d’aider le français québécois à moins souffrir d’être stéréotypé comme une sorte d’excroissance illégitime ou bâtarde d’une langue française de France ou d’un français international, c’est-à-dire comme langue vernaculaire (et non comme langue véhiculaire) subissant constamment la comparaison avec un étalon la surplombant. On passe ici de la folklorisation à l’institutionnalisation qui est le passage obligé pour toute volonté de reconnaissance sociale dans l’espace public. J’ai d’ailleurs émis, dans un autre papier, l’hypothèse de voir un jour le Québec se constituer en un autre pôle de l’univers francophone, à côté de celui, historique, de la France.

Parlant de stéréotypie, l’équipe de recherche a pris soin de proposer une hiérarchie entre les différents usages employés au Québec (neutre, familier, vulgaire, etc.) : le Franqus ne se réduira donc pas à un recueil de sacres populaires qui, certes, font souvent la joie du touriste (ou de l’immigrant fraîchement arrivé) mais qui ne définissent pas à eux seuls toute la richesse du français québécois. Par ailleurs, pour celles et ceux se posant (légitimement) la question, le Franqus ne sera pas non plus une sorte de cheval de Troie du mouvement souverainiste québécois (même si la récupération politique est toujours possible, tôt ou tard) : si le système de référence principal est la société québécoise, Franqus a aussi pour ambition de proposer les termes valorisés dans le français contemporain public – ce qui englobe toute la Francophonie – évitant ainsi toute critique d’y voir le support d’un « séparatisme linguistique ». Maintenant, comment créer un équilibre entre respect d’un système québécois de référence et respect d’un français contemporain débordant largement l’espace québécois ? Vivement la mise en ligne du dictionnaire pour avoir des éléments de réponse !

Certes, je ne me fais pas d’illusion : cela prendra du temps et des efforts pour que Franqus soit adopté. Il ne suffit pas de créer un dictionnaire pour que toute la société civile, dans ses moindres ramifications, se l’approprie rapidement et pleinement. Mais cette même société a désormais un autre outil sur lequel s’appuyer et qu’elle peut promouvoir auprès des néo-québécois. Par ailleurs, autre point important : ce dictionnaire est tout sauf une fin en soi. Sa raison d’être constitue même la justification de sa reconstruction permanente. Élaboré pour refléter une réalité contemporaine, il ne peut qu’évoluer car le propre du contemporain est d’être du présent ! Vouloir faire sien un outil, c’est aussi parce qu’on le considère pertinent et utile dans notre fonctionnement quotidien. Il y a là un pragmatisme de rigueur qu’il ne faut pas perdre de vue pour le populariser. C’est donc là une chance inouïe pour tout immigrant de participer aux futures étapes de refonte du dictionnaire pour que ses prochaines versions reflètent les visages contemporains du Québec.

J’applaudis ainsi des deux mains cette excellente initiative dans son principe. Saluer ne signifiant pas acheter aveuglément : ne confondons pas principe et contenu. Ainsi Il sera toujours temps après de le juger sur pièce et à l’usage. À ce moment-là, comme tout le monde, je ferais sûrement de belles découvertes, serais en désaccord avec certains choix ou certaines décisions et trouverais assurément qu’il y a encore du travail à faire. Sans me rendre compte qu’exactement au même moment, je serai alors en train de vivre intimement mon rapport à la culture québécoise. Car je serai en train de comparer ma propre culture de néo-québécois avec celle présentée dans le dictionnaire. Et c’est exactement cela qu’il est offert à chaque néo-québécois avec Franqus : une autre occasion de se vivre au Québec.

Bon automne à toutes et tous.

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