De Aaahahum
Bonjour,
Je ne suis pas revenu sur ce forum depuis des années. Une fois le processus d’immigration et d’intégration réussi, je n’ai pas trouvé pertinent de le faire. Et puis, trois événements se sont passés cette semaine.
D’abord, j’ai vu apparaître sur mon fil Facebook, habituellement alimenté par mes amis québécois, trois nouvelles d’amis français qui se plaignent une fois encore de la déroute de la France. De clic en clic, je suis tombé, effaré, sur des pages de forums de français qui se plaignent de leur situation et que « on trime bien pour rien dans la vie » et que «la droite au pouvoir » et que « la gauche au pouvoir » et que « les assistés yen a marre » et que et que et que. Le tout bourré de fautes et d’aigreur. Je sais que le français moyen se plaint, aucune surprise là-dedans. Mais de le voir de façon si criante et amère, si proche de moi, m’a surpris.
Ensuite, je suis tombé, toujours sur mon fil Facebook à l’activité étonnement française cette semaine, sur un ami français immigré au Québec qui se plaint, encore, de sa situation ici et qui ne demande qu’à partir. Ce que je lui souhaite. Ce que je nous souhaite.
Enfin, je réalise que cela fait 9 ans aujourd’hui que je suis arrivé ici avec mon chum, et que, moi, je n’ai aucune raison ni aucun envie de me plaindre, et que je suis bien satisfait de ma vie.
Alors, secrètement, comme si j’avais honte de la faire (parce que le français du Québec a honte de ses compatriotes et à honte de regarder les forums d’immigrants), je suis venu sur immigrer.com, pour faire un tour, juste comme ça, histoire de voir ce qui se disait.
Premier constat : rien n’a fondamentalement changé sur les inquiétudes des candidats à l’immigration et des néo-immigrants. Toujours les mêmes questions, de formulaires, de procédures, de coûts de la vie, de quartiers fréquentables à Montréal, etc… remis au goût de jour. Ne voyez rien de péjoratif dans mon propos. Je suis moi-même passé par là, j’avais les mêmes questions et j’ai trouvé sur ce forum beaucoup de réponses. Je trouve tout à fait normal et sain d’avoir un endroit pour se rassurer. Heureusement que cet endroit existe ici.
Mais ce qui m’a surtout frappé, c’est le nombre d’insatisfaits de leur situation : des personnes insatisfaites dans leur pays d’origine aux personnes insatisfaites au Québec. Pas juste une petite montée de lait passagère, mais une vraie dépression, réelle, un mal-être quotidien.
Et j’ai eu peur. J’ai eu peur que les gens qui doutent, ce qui est compréhensible dans un processus d’immigration, ne se fassent rattraper par cette morosité permanente qu’on leur insuffle d’un bord comme de l’autre de l’Atlantique.
Et je me suis dit que moi qui n’avait rien pour me plaindre, je voudrais témoigner. Dire que tout ne va pas si mal dans le monde de l’immigrant, et que oui, la vie est belle, où qu’on soit, avec un peu de détachement des petites frustrations quotidiennes. Alors voici un petit bilan de mon parcours. Ne le voyez pas comme donneur de leçon, je ne juge pas ceux qui se plaignent. Mais voyez-le comme un témoignage positif et rempli d’espoir pour ceux qui se lance dans l’aventure, comme un champ des possibles.
Je suis arrivé à Montréal à 25 ans, avec mon chum, et notre chat. Et 128 kg de bagages. Pas d’appart. Pas plus d’économies qu’il n’en fallait. Pas de travail. Mais avec le goût de la découverte. Je ne suis pas parti pour fuir. Je suis arrivé pour découvrir.
Aujourd’hui j’ai 34 ans. J’ai changé de chat, mais suis toujours avec mon chum. Nous avons acheté un triplex (à rénover) sur le Plateau. À notre corps défendant, nous ne voulions pas vivre dans ce quartier, trop de français, pas assez anglophone. Mais nos critères étaient ce qu’ils étaient et au final, c’est formidable. J’ai un travail que j’adore dans une compagnie sensationnelle avec une équipe qui l’est tout autant. Pas un français n’y travaille sauf moi, que des québécois, qui ne font que rarement référence à mes racines. Pour mes collègues, je suis un membre de l’équipe. J’y suis montréalais, québécois, canadien; et un peu français une ou deux fois par an. Tsé, le genre de particularité dont tout le monde se fout fondamentalement, mais qu’on relève à l’occasion pour souligner ce qui fait de toi quelqu’un d’unique.
Mon chum a un chouette travail lui aussi. Qu’avec des anglophones, et quelques rares francophones. Des péruviens, des slovaques, des grecques. Des Canadiens. Des Québécois. Ça fait 7 ans qu’il y travaille. Et ça va bien.
Nous profitons grandement de la vie culturelle montréalaise. Sortons souvent au restaurant. Voyageons beaucoup. Loin. Souvent. Une question de priorité. Mettons que le triplex ne se rénove pas très vite. Nous sortons de l’île plus souvent en avion qu’en voiture. La campagne, ce n’est pas notre truc. Pis Montréal, c’est formidable. Pis les villes d’autres pays aussi.
Nous payons beaucoup d’impôts. Tant mieux, c’est bon signe. Même si nous préférerions qu’ils soient mieux utilisés. Quand nous voyageons, on nous prend pour des Canadiens. Tant mieux. Nous avons prêté serment pour ça aussi. Nous aimons traîner dans le canapé en regardant Netflix. Nous aimons aller au théâtre. Nous aimons les croissants de Fous desserts le samedi matin. Nous aimons les brunchs improvisés la fin de semaine. Nous aimons la mixité sociale. Nous aimons les promenades ensoleillées dans les rues boisées. Nous aimons la neige et déneiger les escaliers en février. Nous nous sentons vivre.
Nous n’avons pas de médecin de famille. Pis? En attendant, nous nous faisons soigner pareil, nous nous faisons opérer pareil, pis quand nous en aurons un, tant mieux. C’est sûr, la famille est loin. Quand tes parents sont malades pendant des mois, hospitalisés, décédés, tu culpabilises. Tu es jugé, critiqué, évalué. Quand tu dois vider l’appartement en quelques jours, tu as besoin d’énergie et de compréhension. Mais bien entouré, en restant toi-même et en assumant tes choix de vie, tout se fait. Avec amour et dignité.
Nous voyons beaucoup de monde. De milieux différents : affaires, artistique, communautaire, etc. Nous pouvons voter, nous engager dans les politiques qui nous touchent, débattre avec respect. Pis mon chum m’a demandé en mariage cet été. Après 13 ans de vie commune. Tsé, tout arrive.
Ça fait 9 ans jour pour jour que, tous les jours, je me dis combien nous avons eu raison de franchir le pas. Que la vie est belle. Les gens jaloux sont cyniques avec ce point de vue. Ils ont torts. La vie n’est pas facile tous les jours. Une question universelle de nuits blanches, de problèmes d’argent, de problèmes professionnels, de problèmes familiaux, etc. Mais ce qui compte n’est pas ce que tu vis, mais comment tu le vis. Je ne sais pas de quoi demain sera fait. Peut-être retournerons-nous en France un jour. Peut-être immigrerons-nous dans un autre pays. Mais pour l’instant, nous sommes bien ici. C’est ce qui compte. L’immigration ça peut marcher. Une question de perception.
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